Lasclay : Rien ne se perd, tout se crée!

18 septembre 2023 BlogueMeghan Beaudette Meghan Beaudette

Sauvegarder le papillon monarque en valorisant l’asclépiade

Nous vous emmenons aujourd’hui à la rencontre de Gabriel Gouveia-Fortin, cofondateur de Lasclay, pour en savoir plus sur son parcours entrepreneurial. Malgré les obstacles qui ont jalonné sa route, Gabriel a su se retrousser les manches afin d’assurer la réalisation de ce projet qui connecte sa passion pour la faune et la flore à sa créativité.

Spécialisée dans la conception d’accessoires isolés à partir d’asclépiade, une fibre naturelle, l’entreprise Lasclay s’engage dans un projet crucial : sauvegarder le papillon monarque. L’asclépiade, étant l’unique plante hôte de cette espèce, est indispensable à sa survie et occupe une place vitale dans l’équilibre de l’écosystème. Ainsi, en exploitant cette ressource, Lasclay s’engage à rétablir les populations de papillons monarques à leur niveau d’avant l’ère industrielle, et ce, d’ici dix ans.

Bien que plusieurs entreprises aient tenté d’exploiter cette fibre au fil des années, peu ont réussi à relever ce défi. L’exploitation de l’asclépiade présente en effet de nombreux défis, auxquels Lasclay a également dû faire face depuis son lancement en 2020.

Une histoire de rébellion

Depuis son jeune âge, Gabriel démontre une propension à complexifier les choses et à aborder les problèmes comme des projets à part entière. Selon lui, cette approche innée découle d’une combinaison de rébellion, d’indépendance ainsi que d’une soif d’exploration et de développement personnel. 

À l’adolescence, il prenait plaisir à trouver des moyens de contourner les règles, à « couleuvrer » comme son père le dirait, pour tracer son propre chemin et remettre en question les dogmes. Ce n’est qu’un peu plus tard qu’il a réalisé qu’il pouvait utiliser cette rébellion à bon escient, en se rebellant sur les bons aspects et pour les bonnes raisons.

C’est également à cette époque qu’il a vécu ses premières expériences de travail. Dès lors, son esprit entrepreneurial s’est manifesté : peu importe le poste occupé, il avait toujours tendance à aller au-delà des attentes de ses employeurs. Cette attitude l’amenait à proposer des idées novatrices et à anticiper les besoins, même si parfois, il devait être rappelé à l’ordre pour se concentrer sur les tâches assignées.

Son parcours académique a joué un rôle dans le développement de sa façon de penser en matière de projets, de problématiques et de solutions; des compétences cruciales en entrepreneuriat. Se considérant comme un généraliste, il trouvait restreignant le fait de devoir choisir une voie professionnelle à la fin de ses études. C’est en cofondant sa première entreprise, Sounds Good, qu’il a compris qu’il était un entrepreneur. Bien qu’il s’agissait d’une entreprise de distribution de produits électroniques, il a su développer sa créativité et mettre en pratique les mécanismes de réflexion acquis pendant sa scolarité.

À la suite de cette première expérience, il a réalisé qu’être entrepreneur ne se mesure pas par la réussite ou l’échec d’un projet, mais plutôt par les apprentissages qui ont été réalisés en cours de route. C’est également l’opinion de Josée Ferland, qui l’accompagne avec Espace-inc, à ce sujet :

 

« Gabriel était destiné à entreprendre. Il a besoin de latitude pour laisser aller sa créativité et déployer tout son talent. Ses intérêts sont multiples et s’étendent à toutes les sphères de son organisation. »

La naissance de Lasclay

Lors d’un projet extrascolaire, Gabriel entend parler pour la première fois de l’industrie de l’asclépiade. Ayant déjà une connaissance de ses propriétés, il se lance dans des recherches approfondies. C’est à ce moment qu’il découvre toute la complexité de cet écosystème du point de vue industriel. Rapidement, il réalise que ce projet lui offre l’opportunité de connecter ses intérêts personnels avec ses compétences techniques.

Pendant ses recherches, il apprend que 750 hectares d’asclépiade dense ont été cultivés au Québec à des fins industrielles en 2017 (1), marquant un tournant significatif après des décennies d’élimination. Autrefois considérée comme envahissante, cette plante indigène avait été supprimée en raison de sa concurrence avec les cultures agricoles et de sa toxicité pour le bétail. Cependant, un changement de perspective a conduit à sa culture intentionnelle, revitalisant ainsi certaines espèces animales en danger.

C’est seulement quelques années plus tard que Lasclay voit le jour. L’entreprise a pour objectif de démocratiser cette fibre, en favorisant son adoption et en la rendant accessible à tous. Cette approche permet notamment à l’entreprise de se démarquer de ses concurrents qui commercialisent cette fibre comme un produit de luxe. Au moment du lancement de Lasclay, l’achat local était en plein essor avec l’arrivée du Panier Bleu, 10 000 paires de mitaines ont trouvées preneurs en seulement deux semaines, positionnant Lasclay comme un véritable phénomène viral et médiatique. La demande croissante et l’engouement des médias ont propulsé l’entreprise vers de nouveaux sommets. Cette notoriété était en partie due à l’historique de l’asclépiade, une initiative ayant débuté en 2013, qui était au point mort et qui n’attendait que d’être redémarrée.

Afin d’appuyer la mission de Lasclay étant de protéger le papillon monarque, il est essentiel de soutenir les champs d’asclépiade déjà présents au Québec et de fournir aux agriculteurs exploitant cette super fibre naturelle des débouchés économiques. L’utilisation de l’asclépiade pour ses propriétés isolantes thermiques et son imperméabilité remarquable permet de garantir la pérennité des cultivateurs. De plus, la culture de cette plante présente des avantages significatifs, tels sa croissance rapide, sa production de biomasse par la photosynthèse et sa capacité à capturer le carbone, en plus de permettre la survie du papillon monarque.

Les défis rencontrés

Les paradigmes de la durabilité

Initialement, Lasclay visait à confectionner des mitaines en réduisant le nombre de matériaux utilisés, privilégiant un mélange d’asclépiades et de polyester. Cette approche semblait prometteuse en théorie, car elle visait à faciliter le recyclage des matériaux en fin de vie. Cependant, cette démarche n’était pas adaptée à la réalité du Québec, puisque le recyclage textile est peu répandu. Le manque d’infrastructures et de méthodes adéquates pour recycler ces matériaux est un obstacle majeur.

Cette prise de conscience a conduits l’équipe de Lasclay à remettre en question les paradigmes établis de la durabilité. Plutôt que de se focaliser uniquement sur les impacts liés à la fabrication des matériaux, ils ont commencé à envisager une approche plus globale basée sur le cycle de vie complet. En utilisant stratégiquement des matériaux a priori moins responsables dans la conception de leurs produits, tels que le PVC, il est possible d’allonger significativement la durée de vie des produits, ce qui équilibre les choses en réduisant la fréquence d’achat. En favorisant une conception robuste et polyvalente, les mitaines peuvent résister à l’épreuve du temps et offrir des avantages pratiques, ce qui a un impact positif sur l’empreinte environnementale en bout de ligne.

 

Gabriel souligne : « Je suis capable d’expliquer à un client que je choisis ce genre de matériaux pour mes produits, en sachant que ça n’a pas bonne presse et en lui expliquant pourquoi je le fais. Je pense que quand les impacts positifs contrebalancent les impacts négatifs, certains choix sont justifiés. »

 

Cette approche inhabituelle incarne l’authenticité de Lasclay et sa volonté de défier les normes pour parvenir à une durabilité véritable.

Un pivot décisif

Lasclay, dépourvu d’expérience dans le secteur manufacturier, a dès le début choisi d’externaliser la production de ses mitaines. Malheureusement, ce choix a engendré des dépassements de coûts, forçant ainsi l’entreprise à effectuer un pivot stratégique pour atteindre ses objectifs.

Dans le souci de maintenir des prix compétitifs, ils n’avaient d’autre choix que de revoir la production de leurs produits. La solution s’est imposée : devenir eux-mêmes des fabricants. Cette démarche apparemment simple s’est révélée plus complexe, car il n’existe pas encore, à ce jour, d’équipements adaptés pour faciliter la transformation de l’asclépiade. De plus, cette solution comporte des risques financiers importants et nécessite une implication plus soutenue de leur part en termes de temps investi. 

Malgré les embûches, cette démarche leur permet de les produire cinq fois plus rapidement qu’en ayant recours à un sous-traitant, d’améliorer la productivité en économisant sur les coûts de production et de réduire drastiquement les délais de livraison pour satisfaire à la demande des clients croissante. Cette décision audacieuse a renforcé la capacité de l’entreprise à maîtriser son processus de fabrication et à offrir des produits de qualité tout en préservant sa vision.

Bien s’entourer

Afin de produire eux-mêmes leurs produits, il était nécessaire de recruter. En septembre 2022, Lasclay recrutait ses deux premiers employés. Bien qu’il y ait eu un peu de roulement de personnel au début, aujourd’hui, l’entreprise compte 10 employés à temps plein. Selon Gabriel, il est nécessaire de faire des essais puis des erreurs pour comprendre les besoins réels de l’entreprise. Naturellement indulgent et flexible, il a toutefois rencontré des défis dans la transition entre la dynamique de partenaires d’affaires et celle de gestion d’employés.

 

« Être indulgent et flexible, ça marche avec des partenaires qui ont une vue globale de l’entreprise, mais avec un employé, ça marche moins. Il faut être plus précis et restreint, tu ne peux pas demander la lune. » – Gabriel Gouveia-Fortin, Lasclay

 

Bien que ce défi soit toujours d’actualité, Gabriel souhaite mettre en place des outils performants, des processus clairs et un cadre organisationnel bien défini pour organiser son entreprise. Son objectif est de rendre ses employés autonomes, tout en favorisant leur bien-être au travail et leur efficacité.

Questionner son modèle d’affaires

Depuis ses débuts, Lasclay a opté pour un modèle d’affaires par prévente de ses produits afin d’avoir un portrait des ventes réalisées avant d’engager des frais. Bien que ce choix puisse être rassurant lors du lancement d’une entreprise, il comporte également de nombreux inconvénients, tels que l’indisponibilité des produits à court terme, les délais de livraison prolongés et une expérience client moins optimale.

 

« C’est juste un gros problème à résoudre.  Aujourd’hui, on produit du déjà vendu, mais on est en transition pour vendre du déjà produit. » – Gabriel Gouveia-Fortin, Lasclay

 

Actuellement, Gabriel travaille étroitement avec Josée, afin de revoir le modèle d’affaires de Lasclay. Pour y parvenir, une analyse approfondie des ventes de l’entreprise au cours des dernières années et une prévision des ventes pour l’année à venir est nécessaire. Cette transition vers un nouveau modèle d’affaires implique une série de changements, dont la mise en place d’un système logistique pour la production, la formation et l’outillage de l’équipe de travail pour respecter les prévisions.

 

« Pour Lasclay, c’est crucial : on doit passer de la prévente à la production directe. C’est ce qui va créer un vrai impact pour l’organisation en améliorant l’expérience client et en optimisant le potentiel de la demande marché » – Josée Ferland

 

Les ambitions de Lasclay

Gabriel souhaite établir une présence influente et marquante dans l’industrie textile. Son ambition est de créer une entreprise dont le nom évoque respect et reconnaissance, à l’instar de celles qui ont laissé une trace durable dans notre culture. Cette détermination témoigne de son engagement à pérenniser une entreprise à la fois solide et porteuse de sens. Guidé par cette vision, Gabriel se prépare à affronter les défis à venir avec détermination.

 

« Je veux que le nom de l’entreprise soit connu, soit respecté, que ce soit un fleuron. C’est un peu prématuré de dire ça, mais je vois Lasclay potentiellement dans la même catégorie que Bombardier, c’est-à-dire comme la pionnière d’une industrie transformatrice pour la société. » – Gabriel Gouveia-Fortin, Lasclay

 

Nous avons conclu notre entrevue en interrogeant Gabriel sur ses appréhensions face à l’arrivée prochaine de son premier enfant. Son regard exprimait un mélange d’émotions, entre préoccupation et espoir. Il a parlé de l’influence de sa famille sur son parcours, celle de sa mère infirmière jonglant entre un travail de nuit et un rôle maternel très impliqué, et celle de son père, architecte de grandes réformes dans différents ministères québécois, mais tout de même exceptionnel dans son rôle parental. Inspiré par ces souvenirs, il aspire à être un parent et un conjoint dévoué et aimant, tout en maintenant son ambition entrepreneuriale. Malgré les incertitudes, Gabriel aborde l’avenir avec assurance, prêt à entamer cette nouvelle étape de sa vie en s’inspirant des valeurs familiales qui l’ont forgé.

 

« C’est pour ça qu’avant d’y être obligé, je me bâtis une équipe la plus autonome et compétente possible pour être capable d’avoir un meilleur équilibre et de pouvoir combler toutes mes ambitions personnelles et professionnelles. » – Gabriel Gouveia-Fortin, Lasclay

 

Nous souhaitons remercier Gabriel de nous avoir partagé son parcours entrepreneurial. Lasclay est une aventure inspirante d’innovation et d’audace, porté par la passion.

(1) L’Hebdo du St-Maurice. (2016, décembre 30). Plus de 100 producteurs d’asclépiade en 2017. [https://www.lhebdodustmaurice.com/actualites/plus-de-100-producteurs-dasclepiade-en-2017/]

Entrevue et rédaction :

Meghan Beaudette – Coordonnatrice marketing et communications, Espace-inc